Quartier Italien
Introduction
L'Italie basse dans les années 1910. Carte postale colorée. © Ville de Dudelange - Mémoire collective
A Dudelange, la Petite Italie est née à la fin du XIXe siècle, avec les débuts de la sidérurgie. Ce quartier coincé autrefois entre l'usine et la mine constitue un témoignage poignant de l'histoire des migrations contemporaines au Grand-Duché. L'architecture de la Petite Italie accrochée à flanc de coteau se déroule tout en terrasses et étagements, les différents niveaux étant réliés par des escaliers volants et des couloirs souterrains qui ne sont pas sans rappeler les célèbres traboules lyonnaises.
Au début du XXe siècle ce quartier était habité principalement - mais non pas uniquement - par des immigrés italiens, d'où son nom. Au fil des ans, les occupants premiers ont progressivement abandonné la Petite Italie. Ses structures, propres essentiellement à l'accueil des célibataires qui ont longtemps formé l'armature de l'immigration italienne sont impropres à retenir les familles qui se constituent peu à peu.
Au cours des décennies, l'habitat de la Petite Italie s'est détérioré. Il n'a pas été adapté aux exigences du confort moderne. Assez paradoxalement, c'est cet handicap qui a fait évoluer le quartier vers une sorte d'Ellis Island dudelangeois, accueillant tour à tour les immigrations successives. Alors que les Italiens l'avaient choisi pour sa proximité avec leur lieu de travail (usine, mine), les nouveaux arrivants disposant de faibles revenus la retiennent pour la modicité de ses loyers. On s'y installe provisoirement, avant de partir, la réussite aidant, vers d'autres quartiers de la ville. En effet, habiter la Petite Italie n'était dans les années 1980 pas qu'un pis-aller honteux. En effet, si les loyers y étaient faibles, les conditions de vie y étaient quelquefois précaires.
La disparition d'une grande partie de l'infrastructure sidérurgique, l'abandon de l'exploitation minière ouvrent de nouvelles perspectives à la Petite Italie. Le quartier est maintenant coiffé d'une réserve naturelle. Désormais, le site devient enviable. D'où le danger de voir tomber des pans entiers de ce témoin unique de l'histoire migratoire en quelques coups de boutoirs. Alors que les maisons individuelles sont aujourd'hui majoritairement propriété de leurs occupants généralement d'origine portugaise, les grands immeubles à logements multiples, les typiques casernes sont en danger réel. Combien de temps tiendra notamment la Casa d'Italia, qui abritait autrefois l'économat italien? Voilà un immeuble que seule une opération publique de réhabilitation - à l'image de celle opérée par le Fonds de Logement pour le Schwuarzen Hary à Esch permettrait de sauver.
Le maintien du Quartier - dans le respect des droits légitimes des habitants actuels - nous semble important. Il constitue en effet un lieu de mémoire unique qui permet de comprendre l'inscription des migrations dans l'histoire nationale du Grand-Duché.
L’usine à l’origine du quartier
Travailleurs de haut-fourneau vers 1900. © Ville de Dudelange - Fonds Arbed
La « Société Anonyme des Hauts Fourneaux et Forges de Dudelange » qui s’est mise en place en 1882 va faire appel à une main d’œuvre d’origine étrangère pour se charger notamment des travaux les plus durs. L’émergence de Dudelange en tant que ville ne peut de ce fait pas être dissociée de l’essor de la sidérurgie et des migrations internes et internationales qui s’en sont suivies. La ville se caractérise par une particularité quant à sa population immigrée: alors qu’au niveau des autres villes sidérurgiques ainsi qu’à l’échelle nationale, les Allemands ont constitué jusqu’à la 2e Guerre mondiale le premier groupe étranger, les Italiens tiennent localement ce rang dès avant la Grande Guerre pour ne pas le quitter jusqu’à l’arrivée des Portugais à partir des années 1970.
Le quartier « Italien » s'est développé en marge de cette évolution, à l'ombre de l'usine et des mines, à une époque où travail, habitat et loisirs répondaient à une certaine unité de lieu. Le site, qui correspond aux deux rues actuelles Gare-Usines et Minières, a été doté de sa dénomination particulière dès 1883. Elle reste inscrite à ce jour dans tous les documents officiels, tels que cadastre ou plans de la ville. Le nom « Italien » faisait à l’époque référence au groupe non pas majoritaire – dans le quartier les Italiens ne domineront qu’après la 2e Guerre mondiale – mais à celui probablement jugé le plus « exotique », donc « visible » par la population générale de Dudelange. On les démarquait de la sorte des Allemands, Belges et Français, alors qu’ils étaient à peine plus nombreux que ces derniers. C’est également en «Italie» que résidait la majorité des Italiens de Dudelange.
L’agencement de ce quartier permet de se faire une idée plus précise des conditions de vie des ouvriers immigrés de l'aciérie de Dudelange ainsi que de leurs stratégies d’adaptation à un nouvel environnement géographique et social.
Il importe donc à l’équipe du CDMH de faire prendre conscience au public que le quartier « Italie » tient une part insigne dans l’histoire de la ville Dudelange et du Grand-Duché. En effet, par opposition aux cités ouvrières créées par le patronat sidérurgiste, il constitue aujourd’hui au Luxembourg le seul ensemble cohérent d’un habitat ouvrier spontané subsistant sans avoir subi de trop importantes transformations.
Un petit morceau d’Italie
Le quartier Italie dans les années 1960. © Ville de Dudelange - Mémoire collective
Réalisées sans aucune planification urbaine, des maisons vont surgir à flanc de colline, entre le site sidérurgique de l’ARBED et les terrains miniers du versant sud-est du Kolschebierg. Elles vont s’ordonner autour de deux ruelles tortueuses: « l'Italie haute », l'actuelle rue des Minières, et « l'Italie Basse », l'actuelle rue Gare-Usines.
Des couloirs et des escaliers – parfois souterrains – vont bientôt relier la partie basse et la partie haute du quartier. Au détour de ruelles étroites, des cours intérieures peuvent surprendre le visiteur. Derrière les maisons s’échappent des jardins: on y plante non seulement les pommes de terre, appréciés des Luxembourgeois, mais encore des légumes « exotiques » comme des tomates, des aubergines ou des courgettes. Des arbres fruitiers et des pieds de vignes y prennent racine. Ces enclaves vertes permettent aux ouvriers immigrés d’améliorer le quotidien, de faire des économies et de se sacrifier à une activité qui leur était généralement familière dans leur pays d’origine.
Le quartier prendra alors l'aspect d’un village de montagne ou méditerranéen de par l’agencement des maisons sur différents étages et son architecture qui favorise la vie au grand air. On y entendra par ailleurs parler italien à côté de biens d’autres idiomes.
Le lieu illustre les conditions de vie des ouvriers de l'époque héroïque de la sidérurgie. La crise du logement sévissant à Dudelange avec l'afflux des ouvriers travaillant à l'aciérie, les maisons sont construites à la hâte, parfois avec les gravats rejetés par l’usine. Souvent insalubres ou humides, elles bordent de simples chemins ruraux. Il n’y pas de canalisations. Il n’y a généralement qu’un point d’eau pour plusieurs ménages. Comme au village, les lessives se font dans des lavoirs publics. Les sanitaires font le plus souvent défaut. En dépit de ces difficultés, le commissaire de police de Dudelange chargé d’une enquête sanitaires sur les lieux, atteste une bonne tenue des logements aux ménagères et tenancières des pensions de famille du lieu.
Des services se mettent progressivement en place pour répondre aux besoins des habitants: ouverture d’épiceries et autres commerces, création d’une société de secours mutuel, organisation de loisirs pour rompre la monotonie du quotidien: fanfare de quartier et autres sociétés de musique, associations théâtrales, club de football. Des cafés viendront bientôt animer la vie sociale du quartier. Ils font souvent office de pension de famille. Ces lieux de sociabilité où l’on discute également politique permettent de développer des solidarités et d’échapper à la solitude et la mélancolie, parfois inhérente à la condition du travailleur immigré.
Vers la fin de l’usine
Lors de la fermeture de l'usine en 1984. © Ville de Dudelange - Fonds Arbed
La crise de la sidérurgie des années 1970 aura des répercussions importantes sur le quartier et sur la ville, sans toutefois leur enlever leur dynamique migratoire.
En ces années là, « Italien » a en fait déjà perdu une partie de sa population italienne. Pour nombre de ses habitants, le changement de résidence marque une certaine ascension sociale. Alors qu’au tournant des XIXe et XXe siècles, des conditions de vie correspondant à celles de l’ « Italie » constituaient le lot commun dans les villes du Bassin minier, les attentes et les standards ont évolué après la 2e Guerre mondiale. Quitter le quartier c’est donc se défaire d’une certaine situation de précarité et de stigmatisation sociale. La fermeture et le démantèlement progressif des usines vont hâter le retour d’autres immigrés italiens, surtout de ceux arrivés après la 2e Guerre mondiale, dans leur pays d’origine.
Nombre de logements sont abandonnés. Restent essentiellement les personnes âgées. L’habitat et la vie sociale du quartier vont alors progressivement se dégrader.
Toutefois, Le Grand-Duché en pleine restructuration économique, reste demandeur d’une main-d’œuvre d'origine étrangère mais cette fois à destination du bâtiment et du secteur tertiaire. Le pays va également accueillir des populations réfugiées.
De nouveaux arrivés pour une nouvelle ère
Scène de vie dans la Cappelarisgässel, années 1980. © Philippe Matsas - Archives du CDMH
Une autre histoire du quartier « Italie » va alors se dessiner marquée par l'arrivée de nouveaux habitants: Espagnols, familles d'ex-Yougoslavie, mais surtout Portugais et Cap-Verdiens. Si l'aciérie a donné naissance, puis a contribué à l'essor de ce quartier, c’est les loyers bon marché qui expliquent son attractivité auprès des populations immigrées de la fin du XXe siècle. Certains locataires ont réussi au fil des ans à racheter leur logement et l’on compte aujourd’hui une majorité de propriétaires, ce qui constitue une situation tout à fait nouvelle en « Italie ». La fermeture et la destruction de l'usine les inciteront à redonner vie à ce quartier: les façades s'ornent de couleurs vives, les maisons adoptent un confort plus moderne; réhabilitation auparavant impossible à entreprendre du fait de la poussière et de la fumée en provenance du site sidérurgique qui noircissaient les maisons et au vue du nombre d'habitants résidant sur l’ensemble de ces deux ruelles.
L’équipe du Centre de Documentation des Migrations Humaines s’applique à enregistrer et explorer les traces du changement induit dans le quartier à travers le renouvellement du processus migratoire.
Depuis le milieu des années 70, l’immigration italienne, alors la plus importante, diminue. Les Portugais prennent le relais et deviennent progressivement la communauté issue de l’immigration la plus importante. Le quartier « Italie » se fait l’écho de ce renouvellement de ces habitants.
Aujourd'hui, la population du quartier s’inscrit, comme partout au Luxembourg, dans la diversité en raison de la globalisation des flux migratoires.
Le Luxembourg est devenu, dans les trois dernières décennies, le centre et le moteur économique principal de la Grande-Région, un lieu majeur d’implantation de multinationales et une des premières places financières européennes. Ce développement économique prononcé a mené à plusieurs phénomènes migratoires :
- la création d’emplois hautement qualifiés, pour lesquels il est difficile de trouver les profils adéquats localement, ce qui a entrainé l’arrivée des « expats », expatriés à haut niveau d’éducation et hauts revenus.
- La généralisation des migrations intra-journalières, dit des « frontaliers », des personnes qui travaillent au Luxembourg tout en résidant, pour des raisons essentiellement financières, dans les régions limitrophes des pays voisins.
Même si le quartier Italien reste jusqu’à aujourd’hui un quartier populaire, proposant des habitations modestes à loyer relativement modéré à une population encore essentiellement ouvrière, l’explosion généralisée des prix sur le marché immobilier luxembourgeois a fait apparaître des premiers signes de gentrification dans le quartier. Il n’y a désormais plus de quartiers « bon marchés » sur le territoire luxembourgeois, son habitat “ouvrier” se trouve maintenant en dehors de ses frontières.
Depuis l’intensification des conflits armés dans de nombreuses régions du monde, Dudelange a pu mettre en place un centre d’accueil pour bénéficiaires de protection internationale sur le site de l’ancienne usine. Ce centre accueille et encadre en permanence une centaine de réfugiés d’Afghanistan, d’Iraq, de Syrie, d’Erythrée et autres.
L’histoire des migrations de Dudelange et de ses quartiers continue donc à s’écrire, et la ville en a été récompensée en 2019 avec le label « Cité interculturelle » par le Conseil de l’Europe.